« Il ne le fait pas pour toi, il le fait pour la friandise » : voilà comment certains asphyxient de leur jugement sans nuance les tentatives encore incertaines de ceux qui débutent dans une approche des apprentissages renforcés positivement.
Pour tempérer, certains arrivent en expliquant qu’un renforçateur (qui, dans ces groupes de discussion s’appelle toujours « récompense ») ce n’est pas « que la friandise mais aussi la caresse ou le jeu » (ouf, on est sauvés) afin de rassurer la personne en proie à ce doute atroce : « mon chien, bosse-t-il POUR MOI ou pour le petit morceau de fromage ? »
Passons aussi sur le fait que, nous humains, mangeons et ripaillons sans complexe aux naissances, aux fêtes religieuses (même quand on est un mécréant de première d’ailleurs), aux anniversaires de naissance, de mariage et même aux enterrements. A peu près tous les moments importants – ou tout simplement plaisants, même les plus anodins – de nos vies comportent une relation à la nourriture d’une manière ou d’une autre ☺
Car le problème véritable et profond est de savoir si le chien se montre à ce point désintéressé pour « travailler » avec nous (ou pour nous) avec une abnégation absolue ou si, finalement, il n’est qu’un affreux petit opportuniste qui se mobilise uniquement si et quand une friandise est attendue?
En clair : nous aime-t-il « inconditionnellement » ?
Au delà de la technicité et la mécanique du clicker training (où la friandise est la conséquence d’un comportement et jamais son antécédent : en clair, c’est le comportement qui fait arriver la friandise et pas le contraire), au delà d’une approche au leurre, souvent conspuée et pourtant parfois tout à fait apte à diminuer le stress de manière générale, la question est bel et bien philosophique chez certains.
Elle s’inscrit dans cette vision parfois très poétique que nous avons du chien.
« Fidèle » quoi qu’il en soit et qui qu’on soit et qui nous aime plus qu’il ne s’aime soi-même — ce qui lui confère une dimension sanctifiée tout à fait particulière à laquelle certains tiennent dur comme fer :lol:
En effet, on ne peut pas dire que l’amour inconditionnel coure les rues dans notre espèce
L’amour « inconditionnel » est présumé ne rien demander en retour, absolument rien : ce qui m’apparaît comme une option peu raisonnable personnellement et qui implique potentiellement un léger souci d’estime de soi et de ses besoins personnels, je suis plutôt du genre pragmatique… un peu comme les chiens ;-)
Je ne pense pas que le chien n’attende rien en retour dans sa relation à l’humain… il demande qu’on comble ses besoins fondamentaux et moins fondamentaux et, parfois, spécifiques à sa race et, quand on ne le fait pas, les problèmes de comportement arrivent presque inévitablement (certes, il ne s’en va pas mais en a-t-il vraiment le choix au final?)
Je ne pense pas qu’un chien soit « fidèle » quoi qu’il arrive : j’ai récupéré un chien perdu dans la nature qui, en apercevant ses propriétaires chez qui je l’ai évidemment ramené, a ressauté dans mon coffre avec conviction et a pris son air le plus dépité possible quand on a du le rendre, contre son gré, à sa « vraie famille » (il n’a pas eu un très improbable coup de foudre pour ma personnalité charismatique mais, ayant peur de le perdre pendant notre balade, je l’ai gavé de dés de jambon pendant 4 heures créant probablement chez lui le premier historique de renforcement de sa vie).
Les besoins physiologiques et de sécurité comblés, arrivent les autres besoins (cognitifs notamment).
Le clicker training active des circuits émotionnels fondamentaux au bien-être : celui de la compréhension de l’environnement (indispensable à tous les animaux, domestiques ou sauvages d’ailleurs) et celui du jeu… ce sont bel et bien ces émotions (qui favorisent la production d’hormones à l’effet euphorisant) qui rendent les chiens « accros » à un apprentissage bien présenté et maîtrisé, via cette minuscule friandise qui les réjouit et engage dans un premier temps. Il ne s’agit pas d’une distribution désordonnée de friandises mais planifiée et réfléchie. Il y a des conditions assez strictes au renforcement positif – que ses détracteurs ignorent complètement le plus souvent 8-)
En répondant à toute cette panoplie des besoins de nos chiens, se construit ce qu’on appelle la « relation » – une myriade de renforçateurs qui, les uns après les autres, la rendent solide et empreinte de confiance mutuelle (« you are good news »).
Ils ne sont guère différents de nous car, avec nos meilleurs amis, nos compagnons et compagnes, tous ceux que nous apprécions nous partageons également un historique de renforcements parfois kilométrique et qui, en raison de sa solidité, de ses répétitions innombrables, supporte parfois quelques coups de canifs occasionnels s’ils ne sont pas trop méchants (quand les coups de canifs deviennent répétés ou trop violents, étrangement, même les grandes amitiés s’arrêtent). A moins de confondre amour et dépendance, nous fonctionnons considérablement de la même manière
Même notre action la plus désintéressée en apparence, est gratifiante, parce qu’elle nous apporte cette émotion confortable qui nourrit l’estime que nous avons de nous-mêmes…
Nous passons l’intégralité de nos vies à essayer d’échapper à des conséquences néfastes ou désagréables et à rechercher celles qui seront agréables, gratifiantes et plaisantes. Tout ce qui est gratifiant produit de la dopamine et votre cerveau va chercher à reproduire le comportement en question.
C’est ce qu’on appelle communément le conditionnement par apprentissage opérant et qui nous motive même quand on croit que le conditionnement est un gros vilain mot ☺
Quand vous bossez/jouez avec votre chien, au delà de l’apprentissage d’un quelconque comportement, vous lui apprenez, surtout et avant tout, si faire des choses avec nous est quelque chose de gratifiant, qui est générateur de bonheur, de confiance en soi, de confiance en nous ou, au contraire, source de stress, de frustration, d’ennui ou de mal être : à partir de ces conclusions, notre chien « aimera » travailler avec nous ou nettement moins.
On en fera un partenaire enthousiaste ou ce qu’on appelle un chien « distrait » « démotivé » « têtu » « borné » et mille autres étiquettes rassurantes (pour notre estime de nous-mêmes avant tout).
Ne vous culpabilisez pas, ne laissez pas les autres vous culpabiliser si vous souhaitez construire la relation à coups de renforcement – c’est l’unique voie qui existe finalement et, peut-être, est-ce précisément ça « l’amour » ? ☺
« Qu’est donc l’amour sinon une autre définition du renforcement positif ou vice versa? » (B.F. Skinner)